Décès de Jean-Louis Déotte

C’est avec une profonde tristesse que nous vous faisons part du décès de Jean-Louis Déotte, survenu le 17 février dernier à Assinie, en Côte d’Ivoire, alors qu’il avait 71 ans.

Élève de Jean-François Lyotard dans les années 1960, il fut professeur à l’École normale de Caen et directeur de programme au Collège International de Philosophie, avant d’intégrer l’université Paris 8 où il enseigna jusqu’en 2013 au titre de professeur des universités. Pilier de la MSH Paris Nord, dont il coordonnait avec passion le thème « Esthétique, arts et industries », il était également directeur de la collection « Esthétiques » aux éditions L’Harmattan et membre du GERPHAU rattaché au Laboratoire Architecture Ville Urbanisme Environnement du CNRS.

À la croisée de l’esthétique, de la philosophie politique et de la question de la technique, ses recherches témoignent du souci de restituer les enjeux politiques inhérents aux questions d’art et de culture. Dans la lignée de Walter Benjamin – assumée jusque dans la rondeur des lunettes – Jean-Louis Déotte s’est notamment intéressé aux notions d’œuvre d’art, de dispositif, de musée, de passage, de ruines et d’oubli. La notion d’appareil, dont il s’attacha, avec Pierre-Damien Huyghe, à forger le concept, restera sans doute le foyer de son œuvre et l’horizon de son travail : idée dont la richesse nourrit encore de nombreux chercheurs et nom dont il baptisa la revue en ligne qu’il codirigeait avec Daniel Payot depuis 2008. « L’appareil fait époque », tout un chacun le sait à présent.

Dès son travail de thèse, intitulée Le Passage du Musée et dirigée par Jean-François Lyotard, les topoï de sa pensée se mettent en place : le Musée y est analysé comme un appareil de suspension de la finalité des œuvres, et à ce titre, comme un dispositif d’oubli de leur destination, de leur faire-monde et faire-communauté. Il n’aura eu de cesse de reprendre ce thème, comme en atteste son dernier ouvrage Le Passage du Musée (2017), motivé entre autres par la récente destruction d’œuvres au musée de Mossoul (Irak).

Cette réflexion sur l’iconoclasme illustre l’intrication du politique et de l’esthétique qui caractérise son travail. Au début des années 2000, en collaboration avec le philosophe Alain Brossat, il se penchera sur le terrorisme d’État et les appareils de disparition des opposants politiques (L’Époque de la disparition [2000], La Mort dissoute [2002]). Depuis cette époque, il poursuivait un dialogue fécond avec l’Amérique du Sud et latine, où son œuvre reçoit un écho mérité.

À l’occasion, le penseur se laissait le droit d’intervenir sur le sensible. Il fut ainsi le passeur de plusieurs amis artistes contemporains, dont il monta des expositions à l’Hôtel-Dieu de Tonnerre. Toujours Jean-Louis Déotte voulait penser son temps.

Ce sont aussi des qualités humaines de Jean-Louis Déotte dont nous aimerions nous souvenir : sa grande bienveillance et le souci d’entamer une conversation philosophique avec tous ceux qu’il côtoyait, quel que soit leur statut universitaire ou leur domaine de prédilection.
Dernièrement, il avait invité Alain Bonnardi, chercheur en musique à la MSH Paris Nord, à concevoir une installation sonore pour la nef de l’Hôtel-Dieu de Tonnerre. Elle était conçue comme un hommage à Jean-Claude Risset. À la demande de l’artiste, elle sera aussi un hommage à Jean-Louis Déotte.

La MSH Paris Nord et le Comité de rédaction d’Appareil

Photo : Jean-Louis Déotte à Concón (Chili) en 2013
de Román Domínguez Jiménez

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